Une décision qui a un impact sur les moyens de pression

30 septembre 2015 – Dans une décision déposée le 8 septembre dernier, madame Myriam Bédard, juge administrative à la Commission des relations de travail (CRT), «ordonne au gouvernement du Québec […] de cesser d’entraver les activités syndicales de l’Association professionnelle des ingénieurs du gouvernement du Québec».



L’ordonnance de la Commission s’applique à une situation qui a commencé à l’automne 2014, alors que les négociations débutaient entre l’Association professionnelle des ingénieurs du gouvernement du Québec et le gouvernement. En avril 2015, afin de sensibiliser la population sur ce qui se passe avec la rémunération des ingénieurs et sur la perte d’expertise au gouvernement, l‘Association suggère à ses membres d’ajouter un message à leur signature courriel qui fait référence aux conclusions du rapport de l’Unité anticollusion de 2011.

Le 10 avril 2015, la directrice des relations professionnelles du Secrétariat du Conseil du trésor envoie un courriel à l’Association lui indiquant que selon eux, «l’utilisation des biens de l’employeur [ne peut être fait] à des fins syndicales, y compris les outils informatiques». L’employeur souligne que selon lui, cette demande ne porte pas atteinte à la liberté d’expression des employés en période de négociation, mais vient plutôt assurer le respect des obligations de loyauté et le devoir de réserve que doivent se garder les salariés. De plus, des avertissements écrits sont envoyés à certains ingénieurs où ils sont menacés de mesures disciplinaires s’ils ne se plient pas à la demande de l’employeur. Le 14 avril, l’Association répond à l’employeur, en signalant que les allégations faites dans le texte ajouté à la signature sont exactes et qu’en effet, comme le souligne l’employeur, il y a une préoccupation concernant la liberté d’expression. Cependant, nous le comprendrons, la préoccupation syndicale est inverse à celle de l’employeur. L’Association dépose donc une plainte à la Commission des relations de travail en vertu de l’article 12, qui stipule qu’«Aucun employeur, ni aucune personne agissant pour un employeur ou une association d’employeurs, ne cherchera d’aucune manière à dominer, entraver ou financer la formation ou les activités d’une association de salariés, ni à y participer. […]»

C’est alors que s’installe le débat juridique : qu’est-ce qui doit prévaloir ? Doit-on restreindre la liberté d’expression lorsqu’elle implique que l’on utilise les biens de l’employeur pour le faire ? En gros, le droit de propriété peut-il justifier de restreindre la liberté d’expression?

Dans sa décision, la Commission fait le parallèle avec d’autres moyens de pression qui impliquent l’utilisation des biens de l’employeur, dont l’utilisation d’une épinglette sur les vêtements de travail, en soulignant au passage que cette notion de propriété est très large et peu étanche. Lorsqu’on s’attarde aux conclusions, la Commission précise que:

«Le message que des employés de l’État veulent transmettre à la population est destiné à promouvoir «l’échange d’idées dans la collectivité», à favoriser «la prise de décisions sociales» et, ultimement, à «amener le grand public à appuyer leur cause». Le Gouvernement ne réussit pas à convaincre d’une justification raisonnable à une atteinte à un droit fondamental qui respecterait les paramètres établis.»

Par conséquent, la Commission donne raison à l’Association professionnelle des ingénieurs du gouvernement du Québec et ordonne au gouvernement de permettre aux ingénieurs d’inclure leur message dans leur signature courriel.

Une décision qui se veut adaptée aux réalités d’aujourd’hui… Vous pouvez consulter le texte de la décision dans son intégralité ici.